Genre·es et cinéma·s : la confusion dans tous ses états.
10 min de lecture
Bâtard(s) du 7ème art : le genre (& autres états d'âme)
Le cinéma, comme le genre, est insaisissable par essence.
AUX OUTSIDERS BADASS ET HÉRO·ÏNE·S HORS-CLASSE QUE LES ÉLANS D’AIGREUR INVISIBILISENT EN MASSE, J'ADRESSE CETTE DÉDICACE.
Sur le plan étymologique, le genre désigne l'idée générale de distinguer les êtres, espèces ou substances, selon une caractérisation de traits répartis en ensembles. Concept objectivement obsolète car élaboré dans un contexte historique autrement moins conscient de la complexité terrestre. De cette observation, se pose une question : celle de la souveraineté d'un tel précepte à notre époque. À commencer par son application au genre humain.
Si pour nos ancêtres le genre était semblable au sexe* en matière de distinction des êtres, la binarité modélisée sur cette base est-elle conforme à la complexité, autrement plus documentée aujourd'hui, qui caractérise l'espèce humaine.?
*le sexe au sens biologique (ensemble des éléments cellulaires, organiques et hormonaux)
Plutôt que dénoncer un usage archaïque sans sommation, je dirais que les codes qui régissent cette classification binaire (réduite à la seule différenciation du féminin et du masculin) semblent omettre les nuances et tendances observées en matière de genre à travers l'Évolution (qu'elle concerne l'Humanité, dans son ensemble, ou les êtres, dans leur individualité).
Qu'en est-il pour les autres ensembles ? La répartition de genre est-elle semblablement dénuée de nuances (si pareillement binaire).? Est-ce qu'il nous casserait pas un peu les coudes, le genre ? A être si imprécis pour fédérer qu'il contribue, au contraire, à faire la guerre. Nique les conflits et la confusion.! L'heure est au point sémantique. Pour développer ma réflexion (jusqu'à présent réduite à l'observation du genre en matière de classification des espèces), il me paraît indiqué de confronter l'emploi du terme à l'égard d'un autre domaine. Le genre a-t-il le même sens quel que soit le registre dont il détermine l'organisation.? Quoi de mieux, pour interroger la notion de genre, que confronter l'Homme (auquel je préfère "l'Humain") au Cinéma.? Mise en pratique avec l'industrie cinématographique (et son mode de classification des œuvres putaclic).!
Bien qu'universelle, la notion de genre est plurielle.
Ce dont témoigne l'époque actuelle et ses conflits à l'échelle mondiale. Les dérives humaines perpétrées en cette seule décennie 2020 traduisent la dichotomie de pensée prêtée à ladite notion. Qu'elles soient d'ordre social, économique, professionnel, géopolitique ou culturel (j'en passe des merdes et des bavures), ces dérives constituent l'ambivalence-même qui fonde l'humanité. Un ensemble réparti en sous-ensembles, eux-mêmes composés d'éléments distincts (les individus) dont chacun se différencie par des caractéristiques propres (résultant d'abord de l'environnement). Les êtres-humains sont ainsi soumis au principe d'inégalité (n'en déplaise aux Démocraties occidentales qui, pour faire-valoir l'éthique de leur politique, prônent des valeurs d'équité démagogues sans égard pour les enjeux réels de la condition humaine).
La vision et l'usage de ce concept sont de fait condamnés à un débat perpétuel.
Dans le Monde comme au Cinéma, le genre sème la confusion.
Pourtant, tous les gen(re)s sont dans la nature. Les fous et les méchants à la dent dure, comme les doux et les gentils au cœur pur. Juste pour dire que les gens comme la carrure, on s'en fout. Y'en a partout des enflures. Mais ton identité, y'a que toi qui l'endure.
Ton genre, ta signature.
De "garçon-manqué" à "femme qui fait des films d'homme".
Au début de ma carrière de metteur en scène, j’ai souvent été interpellé par des commentaires récurrents visant à ancrer mes films dans un Cinéma de Genre fourre-tout ou à me désigner tel – je cite – « une réalisatrice qui a des couilles », « une femme qui fait des films d’homme » ou encore « la nouvelle Julia Ducournau » (en référence à Prends Mon Poing, mon premier court-métrage remarqué). Des raccourcis réducteurs qui ont altéré mon émancipation. D’autant qu’à l’époque (en 2017), il n’était pas évident pour moi de saisir les nuances de ce "gros mot" (cf. le genre). Preuve en est la tendance au rejet que l'on observe à l'égard de ce qui ne peut être rangé facilement, selon des critères de codification normative.
Bien qu'elle puisse traduire un signe d'auto-défense alimentée par l'ignorance et/ou la peur, cette tendance au rejet n'est pas sans conséquence tant elle est contagieuse et peut encourager l'expression d'actes de violence basés sur la revendication de valeurs infondées (au sens de "fausses convictions"). Comme par exemple, le fait de considérer l'homosexualité telle une croyance et, par effet, revendiquer la négation des manifestations de haine qui en découlent sans égard pour la loi (l'homophobie constituant, dans le Code Pénal français, une discrimination qui caractérise un délit, voire un crime selon la gravité de l'aggression).
À titre personnel, j'ai fait l'expérience du rejet dès l'enfance. Mon développement intime s'en trouvant longtemps bridé par le concours-même de considérations externes à mon identité propre. Du fait des assignations systémiques que l’on prêtait à mes initiatives et, plus largement, à ma personnalité jugée "atypique". Une entrave à mon développement personnel, mais aussi professionnel puisqu'elle a ralenti la reconnaissance de mon activité à titre de cinéaste et, collatéralement, freiné le déploiement de mon ouvrage au gré de barrières notables, mais somme toute banales, que j'ai mis près de trente années à nommer. Qu'elles relèvent de sexisme, racisme, transphobie, islamophobie et autres poncifs discriminatoires universels, je m'en suis émancipé en assumant pleinement le mauvais genre qu'il est coutume de projeter sur les profils hors-catégorie. De là est née une œuvre éponyme écrite à l'âge de 28 ans.
Avec Mauvais Genre, j'ai pris le sujet à bras-le-corps.
C'était il y a sept ans déjà. Il en a fallu deux pour financer le projet et trop peu pour le voir confiné, non pas dans une case mais dans une cage. La faute à cette propension à la classification systémique. Voilà comment Mauvais Genre fut détourné en film communautariste. Réduisant mon hommage aux inclassables qui dérangent en métrage sur et pour les personnes trans.
À travers ce récit, j’ai certes entrepris d'aborder le sujet du genre sous le prisme de l’identité. Mais davantage comme une tentative brute de donner du sens audit terme, plutôt qu'en l'abordant sous le prisme de quelque influence. Nul lobbying cloisonnant ici. Plutôt la représentation diversifiée des connotations que ce terme soulève collectivement. Dans ce qu'il y a de bon comme de mauvais. En tentant de mettre en exergue les distinctions cartésiennes qu'on lui associe. Par delà le concept de transidentité, l'identité de genre dans sa binarité la plus stricte est tout aussi obscure. Et c'est sans effort que le titre de l'œuvre s'est imposé à moi : dans une forme aussi brute de décoffrage que l'abus de langage que le fond engage. C'est d'ailleurs une expérience d'asservissement managerial qui m'a inspiré ce choix. En 2013, au temps où je gagnais ma croûte à coup d'emplois alimentaires, l'expression "mauvais genre" faisait encore partie du langage courant. À cette époque, la lutte contre les inégalités de genre et pour la reconnaissance des avancées sociologiques (au sein de l'aire culturelle occidentale principalement) n'invoquaient pas les remaniements linguistiques et modernisation des enjeux d'état civil qui font l'actualité dix ans plus tard (écriture inclusive, loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle).
Le manager adjoint m'avait reproché l’attitude « mauvais genre » que conféraient mes tatouages à l'égard de la clientèle. Ce en dépit de toute considération pour ma rigueur tâcheronne et pour la cible commerciale de l'enseigne. En tant que salarié d'une franchise spécialisée dans la distribution de matériels pour artistes peintres, sculpteurs, graveurs et illustrateurs, j'étais confronté à des client.e.s à l'allure souvent moins "passe-partout" que ne l'affichait ma camisole d'employé. C’était en 2013, berceau de mon insurrection contre les assignations automatiques dont l’archaïsme n’a fait qu’alimenter mon engagement artistique. L’ignorance a bon dos pour qui oublie son fléau. #lintolérancetue
Plus tard, quand j’ai enfin embrassé ma vocation pour la mise en scène, mes films ont vite connu un écho qui m’échappait. Notamment à travers des sélections systématiques dans des festivals spécialisés, par opposition avec ceux dont la ligne éditoriale est dite généraliste.
Je fais référence aux labels qui visent à répartir les films par grandes familles : "cinéma de genre", "pro-diversité", "queer" (pour ne plus dire LGBTQIA+) ou encore "urbains" (pour ne plus dire "de banlieue"). Ce constat a fait grandir ma confusion vis-à-vis de mon approche du genre, tant sur le plan professionnel que personnel. Et aujourd’hui, face aux bouleversements majeurs qui émergent à l'échelle mondiale, force est de constater un décalage manifeste entre le bien fondé de cette classification dogmatique et les enjeux, tant sociaux que sociétaux, réellement rencontrés par nos civilisations. L’heure est à la mise au point.
En 2023, peut-on encore réduire l'espèce humaine et le cinéma à une binarité de genre alors-même que les mentalités entreprennent d'admettre l'étendue de sa complexité ? Ainsi ai-je abordé ma réflexion en observant la façon dont le genre se manifestait au cinéma.
La première distinction qui m’a sauté aux yeux est l’utilisation dudit concept dans un cadre de grande production, par opposition avec le cinéma indépendant. En matière d’industrie cinématographique surproduite, les genres sont moindres mais néanmoins ultra définis (aussi bien dans le fond que dans la forme). On parlera entre autres de "blockbusters de l’été" et autres "comédies familiales de Noël".
Les critères de genre servent alors des objectifs très spécifiques liés au marketing et à la promotion (populations cibles, périodes de release, thématiques-valises). Cette perception du genre dans le cinéma produit indéniablement des films à la narration générique qui doivent répondre à un cahier des charges particulier et peu enclin à l’émancipation des différences qui reflètent pourtant le spectre étendu de la société et, plus précisément, des individualités qui la constituent.
Dans le cinéma des grands studios, je remarque que la définition du genre est un processus trouvant a priori son origine dans le but qui est donné à la fabrication d’un film.
Dans ce cadre, la réalisation de l'oeuvre est d'abord (et avant tout) pensée en fonction de la stratégie de distribution visée. Le lien de corrélation reposant sur des enjeux économiques (rentabilité du produit). Comme, par exemple, initier le développement d'un film d'horreur, sans prérequis narratif, pour une sortie planifiée en période de Halloween. Même si ces œuvres peuvent attirer l'intérêt massif du public (à l'instar des grandes franchises dont les sorties sont toujours très attendues), elles ne relèvent pas d'une impulsion artistique. Il s'agit donc de commandes initiées par les sociétés de production qui sont, ici, les porteurs du projet. Les auteur·ice·s choisi·e·s pour donner corps à l'œuvre (scénaristes comme réalisateur·ice·s) font souvent l'objet d'un casting minutieux pouvant donner lieu à des conflits d'intérêt (vision créative v/ objectif financier). Contrairement au cinéma dit d'auteur, le producteur est le garant du final cut puisqu'il détient les droits de l'œuvre. En ce sens, il lui revient le pouvoir d'orienter la direction artistique (DA) en faveur d'enjeux marketing.
À l'inverse, dans le cinéma indépendant ou à "petit budget" (ne pas confondre les deux notions), les genres sont multiples et aussi bien calibrés que variés.
Là où les grands studios emploient le genre tel un processus commercial, les auteurs de cinéma indépendant abordent le genre pour déterminer une esthétique, un ton, des sujets et un formalisme. Le genre s’érige ainsi pour le cinéaste indé tel un outil qui l’aide à concevoir son œuvre en la plaçant au sein d’un continuum filmographique. En ce sens, les films de genre ont de particulier des aspérités qui leur sont propres. Rendant par conséquent chaque film unique, même s’il appartient à une famille cinématographique bien précise. Et entendons-nous, le "bien défini" fait référence à des critères versatiles mais qui permettent néanmoins d’être contextualisés (au moyen d’une généalogie de sous-genres répartis en thématiques, esthétiques et courants). On parlera par exemple des films Giallo, du Nouvel Hollywood, de la scène Dogme95 (Lars Von Trier, Thomas Vinterberg), « nanars », j’en passe et des meilleurs.
Dans un cadre moins formel que celui des super-productions, dire qu’un film est de genre peut s'annoncer telle une consécration suprême ─ exemple : « L'avant-gardisme de ce·tte cinéaste n'a d'égal que l'originalité de son univers. Avec son très culotté "NI FLÛTE NI SOURDINE", iel signe un cinéma d'un nouveau genre » ─ ou, au contraire, la critique ultime : « Tu fais des films de genre ? Ah ouais, du style branlette d'auteur en N&B où ça fume des clopes en plan fixe pendant cinq minutes et zéro dialogue ? »
Le genre porte ainsi en lui une nuance qui conduit indéniablement à la confusion. Ce qui révèle son obsolescence en tant que concept ou classification.
En effet, de par sa diversité-même, le Cinéma transcende le Genre. Et bien que les films appartiennent chacun à un continuum unique, ils sont tous connectés au Cinéma global depuis sa création. L’utilisation des thèmes, formes, esthétiques ou références ne servent donc pas à classer, mais à concevoir les films dans un premier temps, puis à les distribuer dans un second. Reconnaître et distinguer ces codes nous éclaire davantage sur l’auteur·ice et le récepteur·ice que sur le Cinéma en soi.
En conséquence et par essence, le film existe avant son genre.
Le genre peut certes aider un film à prendre forme mais j’aime à penser qu’il résulte surtout de l’interprétation de son public propre (ce qui, par extension, peut évoquer la dimension « cinéma de niche »). Toutefois, il ne pourra jamais exister sans cette jonction entre auteur·ice, récepteur·ice et distributeur·ice. Devoir donner une définition exacte au Cinéma de Genre est donc une tentative masquée pour parler des spécificités culturelles et économiques du Cinéma et des Films.
Au départ, l'idée cinématographique est une impulsion d'auteur·ice.
Cette impulsion est chargée de sens au moment de sa concrétisation à l’image puis, une seconde fois, au moment de sa résonance à l’égard de l’audience. Si l’idée est suffisamment pertinente, elle se propagera naturellement à d’autres films qui la chargeront de symbolique.
Jusqu’à ce qu’elle soit communément admise et digérée par un système ou un marché qui pourra la définir comme un "code de genre".
Puissent les décisionnaires du 7ème Art dépasser les a priori de genre et voir dans les films contemporains et à venir davantage qu’une DA pro-urbaine, orientale, queer ou encore "testostéronée". Promis papi, on peut faire des films quali nonobstant la catégorie associée (girly, gay-friendly ou action movie). Cette caractérisation systématique est castratrice puisqu'elle ancre l'oeuvre dans un courant ciblé (pour ne pas dire "carcan") et, de fait, excluant. Qu'il soit lié au sexe, à l’identité de genre, l’origine, l’orientation sexuelle, la catégorie sociale ou encore la situation familiale des personnages, thématiques voire de l'auteur·ice iel-même. Qu'est-ce t'en branle de savoir si et comment je kiffe mon intimité pour "recevoir" l'oeuvre qui ne m'appartient plus dès lors qu'elle est partagée ?
Pour conclure, j’évoquerai la nécessité de rapprocher le cinéma de l’humain pour parler du genre en matière de mouvements générationnels. En ce sens je suis parvenu, avec mon travail sur Mauvais Genre, à m’émanciper d’une binarité qui a trop longtemps castré mon identité et mon ouvrage. A mon sens, le genre est avant tout un ressenti et non pas une science souveraine dictée par les distinctions biologiques et autres constructions sociales associées.
BREF.
LES ÉTIQUETTES, ÇA GRATTE
PAR CONTRE : L'ÉTHIQUE,
ÇA TABASSE.
Alors exit les cons pro-classes qui dictent un élitisme de masse. Nique les indignes et autres castes systémiques. La classe qui mérite l'estime rime avec queen/king. Pas la même orthographe, soit. Juste la prime d'un état de grâce. Celui que signent les films qui ont de l’audace.
Comments